top of page

On traite souvent de la relation de la ligne et de la figure dans l’analyse de

l’oeuvre peinte.
Ici, ce sera la ligne qui deviendra

figure.

Ce qui s’impose n’est pas un choix, c’est comme un courant vital.

Un territoire s’est couvert, tramé par de fragiles entrelacs, serrés, fuyant l’horizontal,

portés par une main cheminant, croisant, révélant une sorte de grande figure aux traits

d’une même couleur.
Ces lignes ne sont jamais séparatives. Elles s’assemblent dans un labeur.
Le pastel gras donne au trait une

densité et une couleur qui, faisant écho et jouant avec le fond monochrome (socle et

profondeur à la fois), créent une unité, un ordre. Le temps passe au travers de ces

mailles (déchirement, effrangement ), laisse une échappée

Le recouvrement n’est jamais complet. A chaque fois, une trouée (érosion,

libre dont on ne sait si elle marque l’origine ou la fin.

Le monde est plus vaste que la toile, l’une répond à l’autre et s’en agrandit.

Deux traits qui se croisent peuvent amorcer un destin.

Nul se saurait arrêter cette trace et ce

passage

Pola Carmen aime à célébrer la rencontre essentielle des oeuvres de

Pierrette Bloch et d’Agnès Martin.

Elles enseignent la longue haleine et la solitude du coureur de fond.

Le souffle ne saurait manquer.

 

François Barré
Ancien Président du Centre Pompidou

 We often deal with the relation of the line and the figure in the analysis of 

  the painted work.

 Here, it will be the line that will become a figure.

 What is essential is not a choice, it is like a vital current.

  A territory was covered, framed by fragile interlacing, tight, fleeing the horizontal, carried by a hand crossing, crossing, revealing a sort of large figure with features

 of the same color.

 These lines are never separating.

They come together in labor.

The bold pastel gives the line a density and a color which, echoing and playing with the monochrome background (base and depth at the same time), create a unity, an order.

Time passes through these meshes.

The recovery is never complete.

Each time, a gap (erosion, tearing, erosion), leaves a breakaway

 free which we do not know if it marks the origin or the end.

 

The world is larger than the canvas, one responds to the other and expands.

Two intersecting traits can start a fate.

No one can stop this track and this passage

 

Pola Carmen likes to celebrate the essential meeting of the works of 

Pierrette Bloch and Agnès Martin.

They teach the long breath and the loneliness of the long-distance runner.

There is no shortage of breath.

                                                       François Barré

 Former President of the Center Pompidou

Puisque ces « Possibles » nous donnent le liberté d’ouvrir l’horizon, et que

Pola Carmen nous invite à seulement voir et nous laisser submerger, profitons-en

pour éprouver un immense plaisir à voir l’invisible, à lire entre les lignes...

Peut-être tantôt une frêle échelle vers l’infini, tantôt une fenêtre dans le gris,

un escalier mystérieux, parfois une étrange marelle reliant la terre au ciel tracée

sur une immense pierre lithographique.

Car oui, il y a d’abord un substrat quasi géologique, le support coloré

de divers gris, puis, dans un langage minimal, du vertical et de l’horizontal, un jeu Improvisé autant que controlé.

Les traits au pastel gras glissent et s’accrochent à la matière sans repentir, y sursautent

parfois, apprivoisent et dialoguent avec les bords de la toile, pour nous plonger

dans un espace sidéral de sensations.

Alors, la simple toile est transmuée. Elle devient proche et lointain paysage, champ d’action

Où les traits de couleurs saturés vont imposer leur présence. Elle s ‘ouvre telle une étendue

limitée et illimitée, offerte à notre

contemplation et méditation.

Soudain résurgence... Les tracés hypnotiques nous font remonter le temps, faisant

immerger

presque en silence l’enfance du geste à la craie, le tableau noir tout autant que le cahier

d’écolier aux lignes bleues et rosâtres. Rêver de s’échapper du carcan orthogonal, parfait

et monotone et réussir.

Les réseaux vivants de lignes dessinées à main levée aspirent ici notre regard en un

curieux vortex duquel on sort en ayant gouté l’élan pur ascendant et descendant de la

vie dans une sereine harmonie.

Pola Carmen nous rappelle que l’humain est debout et fait d’altérité.

Elle nous dit aussi combien notre humanité réside dans cette frange ténue, sensible,

de l’imperfection.

Anne-Pascale Richard

Since these " Possibles " give us the freedom to open the horizon, and that  Pola Carmen invites us to just see and let ourselves be overwhelmed, let's take advantage to experience immense pleasure in seeing the invisible, reading between the lines… 

Maybe sometimes a frail ladder towards infinity, sometimes a window in the gray,  

 a mysterious staircase, sometimes a strange hopscotch connecting the earth to the drawn sky

on a huge lithographic stone.

Because yes, there is first an almost geological substrate, the colored support

various grays, then, in a minimal language, vertical and horizontal, a game

 Improvised as much as controlled.

The bold pastel lines slide and cling to the material without repentance, jump in it sometimes tame and interact with the edges of the canvas, to immerse ourselves

 in a sidereal space of sensations.

 So the simple canvas is transmuted. It becomes near and far landscape, field of action

  Where the lines of saturated colors will impose their presence. It opens like an expanse 

limited and unlimited, offered for our contemplation and meditation.

Suddenly a resurgence ... The hypnotic traces take us back in time, making us immerse

 almost in silence the childhood of the chalk gesture, the blackboard as much as the notebook

schoolboy with blue and pinkish lines. Dream of escaping from the orthogonal yoke, perfect

 and monotonous and succeed.

 The living networks of freehand drawn lines here draw our gaze into a curious vortex from which one leaves having tasted the pure upward and downward momentum of the life in serene harmony.

 Pola Carmen reminds us that humans are standing and made of otherness.

It also tells us how much our humanity resides in this thin, sensitive fringe of imperfection.

                                                        Anne-Pascale Richard 

Parfois regarder c’est s’abandonner.

 

Parfois s’abandonner est la meilleure façon d’éprouver, comme dans une rencontre amoureuse.

 

La toile est rectangulaire et tirée en hauteur. Elle est d’un grand format, 162x130. Toile à hauteur d’homme. Toile à hauteur de corps et de regard en même temps. Se tenir devant elle, c’est être confronté à une présence, quelque chose qui apparaît, que l’on ne dominer pas. Quelque chose qui vient, la toile. Je veux dire la toile qui est montée sur un châssis qui a conservé sa teinte écru, tendant vers le brun de son matériaux d’origine et visible.

Présence disais-je, présence des bords, non peints, qui sont d’autant visibles qu’ils sont irréguliers.
Est-ce un tableau, est-ce un volume ?

 

Quelque chose est là, qui ne se fait pas oublier, ne disparaît pas dans le mur, mais au contraire semble en surgir pour venir vers nous. Sur cette toile, des traits jaune, d’un jaune citron, dont la vivacité est comme poussée à son comble par son contraste avec l’ocre qui l’accueille.

On songe a ces champs de colza, au printemps qui éclabousse de lumière le vert de la campagne. Que dire de plus, oui la question se pose, tant les moyens mis en jeu ici sont pauvres, économes. Une toile, des traits au pastel à l’huile, c’est tout.

C’est très simple donc, mais pour autant, puis-je dire que je vois ? Je veux dire que si je me tourne par exemple, que je détourne mon regard de cette toile, saurais-je de mémoire, en reconstituer l’allure. Pas sûr.  Economie de moyens, richesse de la sensation.

 

Alors au lieu de détourner le regard, faisons exactement le contraire. Restons là, debout, devant ce tableau qui nous le demande, puisqu’il est debout lui-même et restons ainsi longtemps.

Notre oeil, pour voir vraiment, notre corps pour éprouver réellement, ont besoin d’imprégnation.

C’est ce que nous rappelle la peinture qui est une forme à vivre, une forme devant laquelle, c’est le fait des vrais tableaux, on peut se tenir chaque jour et la nuit aussi et n’en avoir jamais fini avec le voir, n’en avoir jamais épuisé la sensation. Faites l’expérience chez vous, s’il y a des tableaux que vous ne voyez plus, ça n’est pas très bon signe pour eux. Alors ces traits qui sont le vocabulaire de l’artiste, que vois-je en restant devant eux ? Qu’ils ne sont pas vraiment droits, ni tout à fait horizontaux, ni tout à fait verticaux, pas même continus, parfois longs, parfois plus courts, parfois rapprochés, parfois disjoints, laissant alors comme sur les bords de la toile, qu’ils ne rejoignent pas, l’ocre sous-jacent revenir du fond vernis.

 

Ça semblait être une grille, quelque chose de géométrique de prime abord, mais on pense plutôt à une sorte de trame désormais. Trame parce que ce mot, trame, fait venir au jour une sensation

Innommable dans une premier temps que l’on a éprouvé par le corps et la mémoire plus encore que par les yeux. Quelque chose de textile est présent là. C’est ça le pouvoir de la peinture, si on lui accorde du temps, si on met non seulement son regard et son corps dans un état de disponibilité, le tableau réveille en nous la mémoire de sensations qui vont bientôt faire venir des mots comme autant de souvenirs et une autre manière de voir. Alors trame et textile, je prononce ces mots et une autre porte s’ouvre. Cette toile sous-jacente m’est tellement présente, cette toile brute, non apprêtée de blanc est elle-même une surface tissée. Tiens, c’est comme si ce tableau mettait au jour une structure cachée à la façon d’un dévoilement. Et puis, il y a cette façon irrégulière d’entre croiser les traits de pastel.

 

C’est incroyable comme la peinture n’a pas besoin de grands gestes, ni de formes reconnaissables pour faire naître la sensation. Nous sommes devant une surface plane, où sont disposés des traits, mais quelque chose semble vivant. Les traits eux-même qui du fait de leurs épaisseurs, du fait de leur tremblé qui trahit la main de l’artiste, du fait de leur disposition, semble vibrer et s’animer sous nos yeux. Et puis cette trame, comme un fantôme de tissu, à la limite de la déchirure sur son bord inférieur et puis en son centre, à droite ou quelque chose s’ouvre et s’effiloche. Tout à l’heure, je parlais d’abandon et de rencontre amoureuse aussi, parce que je me tiens là, devant cette surface plane, mais que l’artiste, avec très peu de moyen, c’est-à-dire avec délicatesse m’emmène dans un monde de sensation, où je me laisse mouvoir et émouvoir par un espace qui me happe, sans contraintes, juste pour un temps, juste le temps de la rencontre et de la sensation. Ça paraît si simple au début, cette grille jaune sur fond ocre, mais désormais ça semble fragile au bord de la déchirure et puis mouvant à la façon d’un courant et puis surtout, plus rien ne paraît plan, la trame s’écarte, laisse remonter le fond, oui décidément, un vrai tableau est une affaire de présence, inoubliable, quelque chose qui s’imprime dans le corps.

 

Pola Carmen, c’est le nom de l’artiste, nomme ce tableau « Possible - jaune citron », un     autre s’appelle s’appelle « Possible - bleu tendre », un troisième « Possible - orange de chine ».

Manière  de dire que la peinture est l’art d’explorer ce dont ses composantes, toile, couleur, sont capables. Manière de dire, de nous dire qu’il y a là quelque chose à vivre, quelque de chose de possible, à nous de saisir la présence qui vient pour la rendre réelle et durable.

 

 

Pierre Watt

Amélie Maison d’Art - 2020

bottom of page